Jamais connu un tel froid. L’humidité pénètre le corps entier. La rue paraît figée et toi comme suspendu au-dessus du feu rouge. Tu sonnes à l’interphone au moment où je pousse la lourde porte vitrée. Il y avait probablement des élections présidentielles en France, et le taux de chômage était en hausse. Tu m’offrais un poème de Lorca.
Au froid s’est ajouté le brouillard, la brume… comment dire ? impossible de trouver dans la langue française un mot qui puisse qualifier cet immense nuage blanc qui nous enveloppe dès que nous sortons dans la rue. Il n’y a plus de café en face, plus de feu rouge, plus d’arrêt de bus. Ta voiture elle-même semble avoir disparu. Une jeune femme s’était fait agresser dans le train reliant Nice à l’Italie. Un gars dangereux, recherché par la police. C’était le deuxième poème de Lorca.
Le taux d’humidité n’a jamais été aussi élevé, dixit le journal local. Pour moi, c’est toujours égal : une carafe d’eau glacée versée dans le corps et qui se répand entre chaque muscle. On pourrait oublier que nous marchons dans une rue, dans une ville réelle et habitée car nous progressons à tâtons, dans une épaisse masse blanche. En France les ministres se succédaient : était-ce grave ? A califourchon sur le monde, je lisais égoïstement mon troisième poème.
Aujourd’hui la brume s’est dissipée. Je dévale les escaliers et m’engouffre dans ta voiture, où il fait bon, à peine le temps d’apercevoir le cinéma fermé au coin de la rue et le pizzaïolo qui fume sa cigarette entre deux commandes. La vache était plus folle que jamais et il fallait se préserver de toutes les épidémies. En repliant le poème manuscrit, mes yeux sourient.
L’hiver est derrière nous. Grand beau temps. Echarpe et bonnet peuvent rester à la maison. J’attrape vite mon sac et je claque la porte. Il fait si clair que la lumière nous aveugle à travers le pare-brise. La situation économique était plus dramatique que jamais : le gouvernement prenait des mesures drastiques. Les mots du poème étaient plus doux que jamais. « Tes yeux rapprochent le ciel de la terre. »