L’intitulé réel de mon métier est : traductrice-adaptatrice. J’ai un statut d’auteur et donc de travailleur indépendant. Quelle est cette chose barbare ? Je traduis les dialogues de programmes audiovisuels (films, séries, documentaires, animation…) pour la télévision et les adapte ensuite : il faut donc que le sens soit présent et que le texte soit le plus synchrone possible avec les mouvements des lèvres des acteurs.

Généralement, je souffre du « syndrome Chandler » : personne ne comprend vraiment ce que je fais. Certains s’étonnent de ne pas entendre ma voix, d’autres pensent que je ne fais QUE traduire… C’est souvent pénible, car notre métier est peu connu et reconnu.

Mais c’est un métier passionnant. Son avantage premier, pour moi, est de faire appel à ma passion des langues et à mon attrait pour l’audiovisuel. L’objectif final serait de travailler pour le cinéma, mais les mastodontes d’un certain âge sont difficiles à détrôner.



C’est un boulot idéal, car les programmes sur lesquels je travaille sont très variés : pas tous follement intéressants d’un point de vue de spectateur, mais ce n’est pas grave. On peut même essayer d’améliorer un programme en le doublant. J’ai adoré adapter des mangas, des petits films d’auteurs, des documentaires intéressants, des téléfilms si nuls qu’ils en deviennent comiques…

C’est un métier solitaire : chacun bosse de chez lui. Mais j’ai la chance d’avoir des collègues-amis avec lesquels j’essaie d’en faire un boulot d’équipe, en travaillant sur les mêmes séries ou en vérifiant la qualité de notre travail final ensemble. Il ne faut quand même pas avoir peur de ne pas avoir une vie sociale « de bureau » normale.

En revanche, c’est un métier qui procure une grande liberté : pas de patron, pas d’horaires fixes. On peut travailler 15 jours sur 15 puis prendre une semaine de congés, chacun fait comme il veut, selon qu’il a envie de travailler ou pas, selon qu’il a envie/besoin d’un peu ou beaucoup d’argent ! Pour moi, cette liberté n’a pas de prix. Celui qui est « du soir » peut bosser la nuit s’il en a envie…

Cette liberté a ses revers : c’est un métier précaire, dans le sens où il ne nous est accordé ni indemnités chômage, ni congés payés. J’accepte cette condition, qui ne parvient pas à concurrencer les aspects positifs, selon moi.

Mieux vaut ne pas être un « ours » dans ce milieu : le relationnel joue un rôle important. Tout marche par réseau. Ce qui me plaît, si je compare avec d’autres professions, c’est que si on travaille bien, on nous fait confiance et on nous donne notre chance. Si on rend un travail moyen ou en retard, il y a des chances pour que le client ne nous rappelle plus. Ce qui est assez juste, finalement. Encore faut-il mettre le pied à l’étrier. On débute malheureusement souvent avec des clients qui paient mal. D’une manière générale, il faut avoir du caractère pour se faire respecter : on est très souvent amenés à négocier pour nos tarifs, parlementer pour lutter contre la censure des chaînes… Nos clients, comme tous les clients du monde, veulent évidemment qu’on travaille toujours plus, dans des délais toujours plus courts (voire inhumains) et pour toujours moins cher. On est souvent dans un rapport de force qui peut être usant, mais qui pousse à ne plus avoir peur de monter au créneau pour défendre ses intérêts et ses points de vue. Pour être très claire, on peut aussi dire merde à un client pénible et allez voir ailleurs si on y est.

Je n’ai pas parlé des qualités qu’il vaut mieux posséder pour exercer ce job : il faut aimer la langue, aimer jouer avec les différents registres de langage, être pointilleux, ne pas avoir peur de passer une heure sur une phrase, avoir gardé une âme d’enfant pour se réjouir d’adapter tous les genres de programmes, ne pas avoir peur de la solitude, savoir organiser ses journées pour préserver sa vie personnelle, être dur en affaires pour ne pas se laisser manger…

Je crois que j’en ai dit pas mal. En gros, ce métier me convient à 100% et à l’heure actuelle, je n’en connais aucun autre dans lequel je m’épanouirais autant et qui pourrait rassembler toutes les caractéristiques que j’ai évoquées.

Sabrina Boyer.