Je n'ai pas pu résister en rentrant chez moi ce soir-là, malgré l'heure tardive, au fait de commencer ce livre qui m’intriguait par son titre à rallonge : j'ai tout de suite aimé et l'ai repris dès mon lever le lendemain matin. Quoi qu’on puisse dire ensuite des éventuels défauts de style ou de structure d’un livre, c’est le critère essentiel : le plaisir du lecteur ! Et ici, le ton et l’organisation en brefs chapitres ne déçoivent pas.

J'aime beaucoup l'écriture, la sensibilité, le questionnement qui habite chaque page. C’est un texte autobiographique dans lequel le narrateur rend hommage à son grand-père, le matelot inconnu, en le mettant sans cesse en parallèle avec la figure tutélaire d’Albert Camus, l’orphelin célèbre. L’écriture est recherchée, sans jamais être précieuse, et traque au plus près la justesse du souvenir, le bon mot pour interroger les identités familiales. Ce kaddish, la prière des morts, dans le judaïsme, n’est jamais funèbre, mais toujours chaud et généreux, comme dans les textes courts les plus ensoleillés de Camus.

« Ecrire, c’est s’attacher à l’ombre, assumer ses échecs, se vouer à l’obscur » (p. 79). Emmanuel Ruben parvient pourtant dans son deuxième roman à mettre en lumière son grand-père de façon juste, sans pathos ni concession, grâce à une écriture précise et prenante, qui fait dévorer son livre d’une seule traite. En refermant son récit, on a envie de relire Camus, et aussi de reparcourir les plus beaux passages de son premier roman, Halte à Yalta, paru en 2010 chez JBz &Cie, qui célébrait déjà le bric-à-brac de la mémoire.